Tu marches au gré du vent, sans trop savoir où tu vas. Tu sais jamais où tu vas de toute façon. La dernière personne qui t'a hébergée a failli te frapper par ton manque de politesse. Ton indélicatesse les rend tous dingues mais tu te fiches de n'être qu'une sauvage, dans ce monde de fou il faut bien sauver sa peau. Alors tu te débrouilles à ta façon. Sur ce chemin poussiéreux tu traines des pieds, quand enfin la gare se montre à toi. Des années que t'y travailles et tu ignores si un jour tu feras autre chose de ta vie, que de servir les gens, leur rendre un sourire préfabriqué par la machine que t'es devenue, leur dire merci à vous passez une bonne soirée. En espérant qu'elle soit mieux que la mienne. Ce n'est pas bien difficile en même temps. Tu laisses qui veut passer devant toi, t'es pas pressée de toute façon. Tu n'attends personne et personne ne t'attend nulle part. Tu montes dans ce wagon et t'installes par terre. Par la fenêtre le paysage défile et tu laisses ton imagination aller, tout en sachant que personne ne sera là pour t'accueillir au terminus. Parfois tu t'dis que t'aimerais bien que quelqu'un t'attende quelque part. Parfois tu t'dis que t'es mieux comme ça, seule, à ne devoir rendre de compte à personne. Au moins t'es libre. Et la liberté n'a eu qu'un seul prix jusqu'à maintenant, celui de la solitude. T'estimes que tu t'en sors pas trop mal après tout. Lentement tu hausses les épaules et un foutu sourire vient se coller à tes lèvres alors que t'es même pas joyeuse. Mais cette pensée t'arrache un sourire et ça peut que te faire du bien.

Bientôt le contrôleur parle au micro, vous êtes arrivés, toi et les autres voyageurs. C'est jamais 'vous', c'est toujours toi et eux. La sensation d'être lié à quelqu'un tu ne l'as jamais connue ; voulais-tu seulement la connaitre ? Tu prends tes affaires, autrement dit pas grand-chose d'autre qu'une besace toute petite dans laquelle t'as deux-trois bricoles pas intéressantes. Ta vie se résume à ça, du vide. Mais du vide sympa. C'était cool, le vide, avec toi. Comme tout à l'heure tu marches un peu, regardes tout autour de toi. Les ruines ne sont pas tout à fait parties, certaines subsistent dans le décor et bizarrement ça te fait pas grand-chose. Subitement tu penses à tous ces gens qui ont succombé sous les décombres, les explosions ou encore qui se sont plantés un couteau dans l'coeur tout simplement parce que la peur était trop grande à supporter. La peine aussi peut-être. Tu te demandes ce que ça t'aurait fait, à toi, d'y rester. Ç'aurait été pas plus mal, tu penses. Mais voilà t'es là, toujours là. Le destin sans doute. Mine de rien tu sais pas trop ce que tu fous là, mais t'es bien. Rapidement tu trouves un vieux pneu crevé qui traine sur la route. Tu l'attrapes, le pousse un peu plus loin pour pas être dans le passage parce qu'après tout t'as pas envie de crever tout de suite. Tu préfères que ça se fasse lentement, progressivement, bien comme il faut. Au moment venu. Puis t'es sur ce bout de machin tout usé, abîmé autant que ton âme, et t'attends. Qui, quoi ? Sans doute pas grand-chose, mais t'attends.