DISTRICT TROIS, SEPT ANS.
Croisant mes bras sur mon torse, j’essaye de me réchauffer tant bien que mal, luttant contre la morsure de la brise qui semble vouloir me transpercer jusqu’aux os, me faisant trembler comme une feuille. Pas étonnant lorsque l’on sait que par-dessus mon tee-shirt manches courtes, je ne possède qu’un pull légèrement émaillé, ayant appartenu à mon père. Tandis que je claque légèrement des dents, l’idée de rentrée chez moi pour me réchauffer au coin du feu, m’effleure l’esprit ; après tout, ma maison se situe juste à côté. Pourtant je reste là, bien décidé à attendre l’arrivée de mon ami, qui ne devrait d’ailleurs pas tarder. C’est exactement le moment que choisie la porte face à moi pour pivoter sur ses gonds, laissant alors apparaître une silhouette qui m’est bien familière. Aussitôt, un sourire se dessine sur mes lèvres tandis que je laisse retomber mes bras, m’approchant un peu plus de l’entrée de la maison. « Beetee. » je salue calmement mon ami tandis que celui m’assène une petite tape amicale sur l’épaule. Il sort alors de chez lui, mais aussi bizarre que cela puisse paraître, nous ne bougeons pas. Ainsi, nous nous retrouvons à deux à attendre à l’extérieur. C’est alors que de l’autre côté de la porte encore ouverte, apparaît une petite silhouette à la chevelure blonde flamboyante. « Irrya, vite. Toute la chaleur sort de la maison ! » la presse mon ami. Sa petite sœur se précipite alors vers l’extérieur, venant tout de suite se placer à côté de moi alors que Beetee se charge de fermer la porte de la maison. Alors que nous nous mettons en route, je sens une petite main se glisser dans la mienne. Je tourne alors la tête vers Irrya-Prÿska et rencontre aussitôt son regard interrogateur. Je lui adresse un sourire avant de finalement hocher la tête dans un espoir de la rassurer et d’hotter cette attitude coupable qui s’est peinte sur son visage. Cela fonctionne et la blonde retrouve presque instantanément son sourire espiègle qu’elle revêt chaque jour. Ainsi à affronter à trois la morsure du vent matinal, nous semblons plus forts. Un peu comme chaque matin, puisque chaque jour commence ainsi. Je n’ai l’impression que ma journée va bien se passer, que s’il est possible de voir mes deux amis. Car si Beetee est mon meilleur ami, je ne m’imagine plus non plus me balader sans sa petite sœur à mes côtés.

DISTRICT TROIS, NEUF ANS.
Mon costume réservé aux Moissons, tombe lourdement sur mes épaules. Bien trop grand pour moi, je flotte dedans et ne parvient à le faire tenir qu’avec de nombreux élastiques dissimulés un peu partout ; comme au niveau des poignets et de la taille. Mais peu importe. Relevant la tête je découvre mon ami Beetee, quelques rangés devant moi, me laissant lui aussi un regard. Je lui adresse un signe de tête qui se veut encourageant. Pour lui, c’est déjà la quatrième fois qu’il doit faire face à la menace de la Moisson, là où il me reste trois bonnes années avant de commencer à craindre quoi que ce soit. Beetee se tourne alors de nouveau vers l’estrade et mon regard se détache de lui pour se reposer sur la femme en train de déplier un bout de papier pour la deuxième fois cette année. « Beetee Trask. » lâche-t-elle finalement avant de relever la tête, appelant une seconde fois le prénom de mon ami. Je baisse la tête tandis que les larmes commencent à me monter aux yeux. Je sers un peu plus fort la main d’Irrya-Prÿska – la sœur de Beetee – dans la mienne, ne sachant trop si cela est pour lui donner du courage ou si c’est pour m’en apporter moi-même. Cela est sûrement un peu des deux au final.

DISTRICT TROIS, NEUF ANS.
Le pacificateur me fait finalement signe d’entrer. Je ne le remercie pas, me précipitant aussitôt à l’intérieur de la salle réservée aux tributs, pour qu’ils puissent voir une dernière fois les leurs avant de devoir partir en direction du Capitole et affronter l’arène. Je trouve mon ami assit sur l’un des canapés au velours rouge de la pièce. Je m’assois face à lui, un peu mal à l’aise de me retrouve face à tout ce luxe que je n’ai jamais eu l’occasion de connaître. Ce n’est d’ailleurs pas une bonne nouvelle de me trouver ici. « Bee… » mon ami me stop d’un geste de la main avant même que je n’ai le temps de finir de prononcer son nom. Se retournant vers moi, il pose alors son regard sur mon visage, me dévisageant longuement. Il a les traits fermés, si bien qu’il m’est impossible de savoir à quoi il peut bien penser. « Je peux te demander quelque chose, Ephraïm ? » La gorge nouée, complètement chamboulé, je finis par hocher la tête. Cela sonne bien trop comme une dernière faveur à mon goût, mais je ne veux pas décevoir Beetee, lui qui a toujours été mon meilleur ami. « Tu pourras veiller sur Irrya-Prÿska ? » Les larmes me montent aux yeux alors que mon ami reste impassible, beaucoup plus mature que moi. Je m’essuie rapidement les yeux d’un revers de manche avant de recommencer à hocher la tête. « Oui, tu peux compter sur moi Beetee. » Mon ami laisse finalement un sinistre sourire apparaître sur son visage, avant qu’il n’ouvre les bras, me laissant m’enfouir à l’intérieur. Le vrai paradoxe étant que c’est lui qui a besoin de me réconforter alors que c’est lui qui risque la mort.

DISTRICT TROIS, NEUF ANS.
Assis côte à côte face au petit écran de télévision de ma maison, Irrya et moi fuyons la foule du centre du district, concentrée devant l’écran géant. La tension dans notre district est à son comble. Le fait que notre tribu soit encore en jeux alors que nous approchons de plus en plus de la fin des jeux, apporte une euphorie que je n’aurais jamais pu soupçonner. Pourtant, tous deux crispés, nous serrant l’un contre l’autre, la jeune fille et moi-même ne considérons pas les choses comme acquise. Après tout, le final des jeux de la faim n’est jamais connu pour être facile. Me serrant contre mon amie, je ferme les yeux, un peu honteux de ne pas avoir la force de faire face à ce spectacle, alors que mon ami n’a pas le choix. Soudain, un coup de canon retenti. « Il… Il a gagné. » souffle finalement la voix d’Irrya. Je ne rouvre pas tout de suite les yeux, savourant cette révélation que je considère comme un cadeau du ciel.

DISTRICT TROIS, TREIZE ANS.
Aujourd’hui, c’est le grand jour. Encore une Moisson. Peut-être une parmi tant d’autres aux yeux des membres du Capitole, mais bel et bien une Moisson ayant son importance pour les habitants de Panem. Ce n’est pas pour rien que l’on numérote les éditions des Hunger Games tout de même, cela veut bien dire que chacune se démarque d’une autre. Et pas seulement par le changement d’arène. Ainsi, aujourd’hui, deux nouveaux tributs vont encore être prélevés dans chaque district. Cela marquera la destruction de la vie de vingt-trois personnes et de leurs familles, quoi que je ne puisse pas dire que le vainqueur en reviendra indemne, surtout en voyant l’état de Beetee à son retour des jeux. J’affiche pourtant un large sourire tandis que j’enfile mes beaux vêtements que je ne peux mettre que le jour de la Moisson, encore une fois, celui-ci a appartenu à mon paternel. Ma mère passant par là, capte alors mon regard. Elle s’arrête un moment pour me dévisager tandis que je l’interroge du regard, pas franchement rassuré par l’attitude sévère que je vois se dessiner sur ses traits. « Ne prends pas confiance Ephraïm. » me glisse-t-elle tandis qu’elle s’approche pour venir ajuster le nœud papillon ridicule qu’elle m’oblige à porter chaque année et qui me gratte toujours le cou. « Prendre confiance ? » je lui demande alors en fronçant les sourcils, ne parvenant pas à comprendre où elle souhaite en venir ainsi. « Si tu continues ainsi, un jour tu tomberas de haut. » Elle pince alors les lèvres, semblant de mettre à réfléchir. Je passe furtivement ma langue sur mes lèvres, ne comprenant toujours pas. « Je ne l’espère pas vraiment ceci-dit. » finit-elle par dire avant de hausser les épaules et de récupérer son panier de linge, l’emportant jusqu’à la cuisine. Je reste sceptique un instant avant de finalement hausser les épaules moi aussi. Je sors alors de la maison pour aller rejoindre Irrya, comme chaque année à l’époque de la Moisson. Beetee sera obligé de se trouver sur l’estrade à présent qu’il est devenu mentor de toute façon.

DISTRICT TROIS, QUINZE ANS.
Cette année, je n’ai pas eu à rajouter d’épingles ou d’élastiques pour retenir mon costume, celui-ci étant enfin à ma taille, après tant d’années à devoir faire des ongles pour qu’il ne touche pas le sol où que sais-je. Pour la première fois, je viens aussi avec cette impression d’être invincible et qu’il ne pourra jamais rien m’arriver. Pourtant, lorsque mon regard rencontre celui de Beetee sur l’estrade, affichant un air beaucoup plus soucieux, je suis tout de même obligé de me reprendre. Je baisse donc la tête, tandis qu’une femme sur l’estrade, déplie le bout de papier qu’elle a pioché dans l’une des bulles de verre contenant les noms de toutes les personnes susceptibles de participer aux Hunger Games. « Ephraïm Hemingway. » Mon cœur rate un battement et je mets quelques secondes avant de parvenir à relever la tête. « Ephraïm Hemingway. » répète alors la voix de la jeune femme, sur un ton inquisitorial. La foule se fend autour de moi, me laissant une large place pour passer. Je déglutis, prenant mon courage à deux mains avant d’avancer. Tandis que je remonte la rue silencieuse jusqu’à l’estrade, je ne parviens à entendre que ma respiration saccadée alors que j’évite au maximum de croiser le regard de Beetee. Je ne possède pas son courage, aussi, je ne pense pas pouvoir être à même de gagner, contrairement à lui.

TRAIN, QUINZE ANS.
Sortant de mon compartiment, je vacille un instant avant de retrouver mon équilibre, me campant bien sur la plante mes pieds. Le sommeil ne me vient pas, ce qui a simplement pour effet de m’embêter plus que de raison. Loin de me bercer et de m’emmener dans les bras de Morphée, le mouvement du train me donne le mal de mer. A moins que ce ne soit l’idée d’avoir à affronter l’arène, qui me met mal à l’aise au point de me rendre malade. L’un dans l’autre, les deux sont possibles. Je pousse un profond soupir. « Foutus Hunger Games. » je murmure, le cœur lourd avant de m’approcher de la table. Me saisissant d’un couteau en argent, dont le luxe ne me parle qu’à peine, je le tourne lentement entre me doigts, l’admirant avant de m’approcher de la paroi du train. Je commence alors à planter l’ustensile dans le mur, y gravant deux prénoms. Irrya-Prÿska et Beetee, les seuls pour qui je n’ai pas envie de me laisser abattre, pour qui j’ai envie de trouver la force de survivre à ces jeux.

CAPITOLE, QUINZE ANS.
La tête collée contre la vitre de ma chambre, je regarde, mal à l’aise, les festivités qui ont lieu en contrebas. Festivités qui ont lieu en notre honneur, pauvre tributs que nous sommes. Festivités auxquelles nous ne pouvons pas prendre part d’ailleurs, mais auxquelles je ne voudrais jamais participer non plus. Je me demande malgré moi comment les gens peuvent s’amuser du fait de savoir que nous allons être sacrifiés pour eux, en direct. Comme-ci nous n’étions que de vulgaires jouets au final. Mais peut-être ne comprennent-ils pas réellement que cela implique de mettre nos vies en jeux pour les divertir. Ou peut-être n’en ont-ils tout simplement rien à faire. « J’ai vu ce que tu avais gravé, dans le train. » retentie alors la voix de Beetee derrière moi. Je ne sursaute même pas, ne me retourne pas pour le regarder. Il sait très bien ce que je ressens, il l’a déjà vécu. « Je cherche à trouver une bonne raison de me motiver à rester envie. » Après tout, nombre de personnes dans les Hunger Games, baissent les bras par manque de motivation et se trouvent donc incapables de se battre pour leur survie. Pas forcément en tuant les autres tributs, mais tout simplement en tentant de rester en vie. Je n’ai pas envie de perdre ma motivation de vivre pourtant. « Irrya-Prÿska. » Je me tourne enfin vers mon ami en fronçant légèrement les sourcils. « Quoi ? » j’articule alors en dévisageant mon ami. Scrutant son visage, j’attends une réponse qui me semble mettre trop de temps à venir. Je regarde Beetee venir s’asseoir à côté de moi sur le rebord de la fenêtre, épiant un instant l’agitation extérieure avant de reprendre : « Elle t’aime bien tu sais. Tu l’as beaucoup aidé à supporter le fait que je sois parti aux jeux. Maintenant que nous sommes tous deux au Capitole, elle doit surmonter cela toute seule. Ce serait bien que tu reviennes au district trois, pour elle. » J’hoche doucement la tête, gravant ses paroles dans ma mémoire. Après tout, il n’a pas tord, je peux bien faire ça pour sa sœur. Elle le mérite.

ARÈNE, QUINZE ANS.
Frigorifié, tremblant de froid et surtout complètement apeuré, je me cache dans l’une des bruyères de l’arène, essayant de calmer ma respiration afin de ne pas me faire repérer. Je suis parvenu à ne pas mourir près de la corne d’abondance, alors ce n’est pas le moment de me faire trouver pour avoir à subir une mort aussi bête que frustrante. Cependant, le premier jour dans l’arène me semble avoir été trop long pour ne constituer qu’une simple journée et je me sens tellement affaibli, autant physiquement que moralement, que j’ai du mal à me remettre de mes émotions. Sans compter que la chaleur ici est insoutenable et que j’ai l’impression que les feuilles du buisson dans lequel je suis caché, sont coupantes comme des lames de rasoir. « Allez Ephraïm, pour Irrya. » je tente de me motiver. Retentie alors un bruit sourd qui me fait brutalement faire volte-face, avant que je ne me rende compte du fait que ce ne sont que les canons qui annoncent les morts survenus au cours de cette première journée de la soixante-quatrième édition des Hunger Games. Par respect, je décidé de regarder le visage des personnes mortes, projetés sur le ciel de l’arène, avant de chercher à trouver le sommeil.

ARÈNE, QUINZE ANS.
Nous ne sommes plus que deux dans l’arène et il n’a jamais fais aussi chaud. La moitié de la forêt est en flamme à cause de la sécheresse. Je ne sais pas comment j’ai bien pu faire pour rester vivant jusqu’ici. Les carrières ont été dans les premiers à mourir, à mon grand étonnement. Sûrement n’ont-ils pas supporté la chaleur ambiante. Quoi qu’il en soit, je me retrouve aujourd’hui face à mon dernier concurrent, un petit gringalet que je ne peux pourtant pas me résoudre à tuer, pas consciemment, comme ça. « Ecoute petit… » Il me coupe aussitôt : « Tais toi. » Je déglutis tandis que je continue de reculer. Je m’arrête alors que je sens mon talon se poser sur le bord de la principale falaise de l’arène, sentant quelques cailloux dégringoler avec la pression de mon poids. Mon dernier concurrent s’élance alors vers moi, brandissant un couteau en avant. Fermant les yeux, je me jette sur le côté, réflexe idiot lorsque l’on y repense, mais je ne souhaite vraiment pas me voir mourir. Je rouvre tout de même les yeux, juste à temps pour voir que l’enfant n’a pas su arrêter sa course et qu’il est à présent en train de dégringoler vers le vide. « Non ! » je cris alors que je tente de rattraper son bras. Trop tard, je n’arrive même pas à l’effleurer. Coucher à plat ventre sur le sol, je regarde le corps de mon dernier adversaire qui continue à tomber dans le vide. Retentie alors le bruit du canon pour la dernière fois, marquant la fin des soixante-quatrième jeux de la faim et ma victoire, par la même occasion.

DISTRICT TROIS, VINGT-QUATRE ANS.
J’ai commencé à sortir avec Irrya-Prÿska à l’âge de dix-neuf ans. Même si nous passions notre vie à nous chamailler, tout cela n’était qu’une évidence après tout. Elle m’a aidé à gagner les jeux – un peu malgré elle certes mais elle l’a fais –, m’a aidé à vaincre en partie mon traumatisme à mon retour. J’ai l’impression que ma vie ne tourne plus qu’autour d’elle et ce, à chaque fois que j’y repense. C’est d’ailleurs ce que je suis en train de me dire, présentement, alors que nous marchons côte à côte, main dans la main, à travers le village des vainqueurs du district trois. Prenant une grande inspiration, je sers alors un peu plus la main de la jeune femme dans la mienne, pour lui demander de s’arrêter. Ce qu’elle fait avant de se tourner vers moi alors que mon cœur se met à battre à tout rompre. Je dénoue alors doucement mes doigts d’entre les siens, pour venir plonger ma main dans ma poche. J’en retire alors un écran nacré tandis que je mets un genou à terre, face à la jeune femme. « Irrya-Prÿska Trask, veux-tu m’épouser ? » je lui demande alors, tandis que j’ouvre l’écrin, découvrant devant son visage une bague magnifique que son frère m’a aidé à choisir.

DISTRICT TROIS, VINGT-CINQ ANS.
Interloqué, je regarde les pacificateurs attribués de vigoureux coups de pieds dans le corps d’un vieil homme qui se tord de douleur à leurs pieds. Révolté, je secoue la tête, ne pouvant me décider à continuer à regarder ce triste spectacle plus longtemps. « Arrêtez ! » je hurle tandis que la foule de curieux s’écarte pour me laisser passer. Arrivant devant les pacificateurs, je les oblige à s’écarter, évitant de justesse de me prendre plusieurs coups. « Laissez ce pauvre homme tranquille ! » je leur lance tandis que j’aide ce dernier à se relever. Ce qu’il fait en vacillant, déjà bien amoché. A côté de moi, les pacificateurs s’énervent, s’impatientes, me lancent des insultes. Je n’en ai que faire, bien trop occupé à vérifier que mon protégé ne soit pas trop blesser. Mais il semble juste épuisé au final. Le prenant par-dessous le bras, je commence à l’aider à se diriger loin de la foule. Autour de moi, des gens commencent à applaudir, tout de suite interrompus par les coups des pacificateurs qui se mettent à pleuvoir. Laissant le vieil homme seul, je reviens en direction des autres. « Venez, ne leur laisser pas l’occasion d’avoir ce qu’ils souhaitent. » Certains hochent la tête avant de se mettre à s’approcher de moi. « Non, vous n’irez nulle part ! » vocifère alors l’un des pacificateurs en dégainant son arme du revêtement de sa veste. Mes yeux s’écarquillent tandis que je déglutis difficilement. Je prends rapidement ma décision, me mettant à courir en direction de la clôture non loin, j’en écarte les fils mal entretenus et commence à faire passer des personnes vers l’extérieur avant de m’enfuir à mon tour, prenant mes jambes à mon cou. C’est alors qu’un coup de feu retentit non loin de moi et que je sens un sifflement non loin de mon oreille. C’est le moment exact que je choisis pour me prendre les pieds dans une racine, m’écrasant de pleine face sur le sol meuble de la forêt. « C’est bon, il est mort. On enverra l’hovercraft le chercher demain matin. » j’entends alors la voix du pacificateur s’élever quelque part, loin derrière moi, sûrement de l’autre côté de la barrière. Je ne cherche pas à me relever, celui-ci m’ayant offert une porte de sortie malgré lui. Bizarrement, je remarque qu’ils ne cherchent pas à poursuivre les personnes échappées, comme-ci elles étaient de toute façon, perdues.

DISTRICT TREIZE, VINGT-SIX ANS.
Et soudain, je le vois. Juste là, caché entre deux collines, le district treize semble plus vivant que n’importe quel autre district. Ironique tout de même pour un district censé être mort. Un sourire s’étend sur mon visage fatigué par les jours de voyage qu’il m’a fallut pour parvenir jusqu’ici. Je ne peux cependant contenir ma joie d’y être enfin parvenu. Car si le district treize existe vraiment, c’est que la rébellion est réellement en marche. Je laisse échapper un léger rire provoqué par l’euphorie qu’amène la joie de cette découverte, avant de commencer à descendre la colline pour rejoindre ce que je considère déjà comme mon nouveau chez-moi.

DISTRICT TREIZE, VINGT-SEPT ANS.
Alors que je suis en train de pétrir la pâte du pain, j’entends que quelqu’un se racle bruyamment la gorge derrière moi. Tournant la tête, je découvre le visage de celui que je pourrais aisément qualifier comme étant mon partenaire. Je fronce les sourcils avant de recommencer à travailler. « Que se passe-t-il ? » je lui demande calmement, légèrement soucieux. Après tout, je n’ai pas l’habitude que celui-ci vienne jusque dans la cuisine, se contentant habituellement de distribuer les pains au niveau de ce que je pourrais qualifier de la boutique. « Je dois partir. » J’arrête soudainement ce que je suis en train de faire, relevant vivement la tête. Pourquoi cela ? Il ne doit pas pouvoir aller à beaucoup d’autres endroits, sans compter que le district treize est aménagé de façon à ce que tout le monde ai déjà trouvé sa place normalement. C’est bizarre qu’il décide soudainement de changer de secteur d’entraide. « Pour aller où ? » je lui demande alors calmement tout en essuyant mes mains sur mon tablier, les sourcils toujours froncés. Il hausse doucement les épaules. « Je ne sais pas encore. » Un sourire se dessine alors sur son visage tandis qu’il se met à rire légèrement. « Il y a tellement de possibilités que je ne sais même pas. » J’ai du mal à comprendre son euphorie, alors je me contente de hausser les épaules, ne sachant trop que faire d’autre. « Très bien. Bonne continuation alors. » Il laisse échapper un nouveau rire avant de m’adresser un signe de tête, de pivoter sur ses talons et de sortir de la pièce. Je me retrouve de nouveau seul, un peu perdu et sans la moindre compagnie d’un ami.

DISTRICT TREIZE, VINGT-SEPT ANS.
C’est avec un léger pincement au cœur que je remarque la pile de pains qui s’amoncellent dans le panier derrière le comptoir. Et le pire c’est qu’il y en a d’autres qui sont en train de cuir dans le four. Quel dommage qu’un gâchis pareil soit fait, bientôt ils seront rassis. C’est sur cette sombre pensée quant au gaspillage de cette nourriture qui se fait pourtant relativement rare au sein du district treize, que la porte est enfin poussée pour la première fois de la journée. « Deux baguettes, s’il-vous-plait. » demande alors l’homme. Je le dévisage longuement avant d’aller chercher ce qu’il me demande, de l’emballer et de lui tendre. « Je ne reconnais pas votre voix. » je lui dis alors avec une certaine gêne. En effet, toujours occupé dans la cuisine, je ne reconnaissais les personnes passant nous chercher du pain qu’à leur timbre de voix, pouvant presque deviner qu’elle heure il était en fonction des personnes qui venaient à heure régulière. Mais bizarrement, la voix de cet homme ne me revient pas. Peut-être n’est-ce pas si anormal que ça dans un district censé récupérer les personnes fuyant leurs districts. Mais cela doit bien faire deux mois que je n’ai pas entendu une nouvelle voix. « Et bien, avec la libération de Panem, les derniers qui restent sont bien obligés de venir chercher à manger eux-mêmes. » me lâche-t-il alors avant de m’adresser un signe de tête et de retourner à l’extérieur. Je m’assois alors lourdement sur l’établie derrière moi, me prenant la tête entre les mains, ayant du mal à me remettre de cette annonce. Panem est libre et je ne le savais même pas.

DISTRICT TROIS, VINGT-HUIT ANS.
Je pose finalement mes valises dans le district trois. Enfin, c’est une façon de parler puisqu’aujourd’hui, je me retrouve clairement sans bagages. Je ne pouvais rien attendre de mieux à mon retour du district treize de toute manière et c’est un peu ce que tous attendaient : un nouveau départ. Ce qui signifie par conséquent plus de passé et plus d’affaires. Quoi que le passé restera sans aucun doute. En commençant par les images des Hunger Games qui me resteront en tête à jamais, sans que je ne puisse faire quoi que ce soit pour m’en débarrasser. Et puis, il n’y a pas que ça. En effet, un bout de mon passé se trouve encore derrière la porte face à moi, ainsi que dans la maison voisine. C’est d’ailleurs dans cette dernière heure que je me dirige puisque je ne rentrerais chez moi que plus tard, souhaitant retrouver ma bien-aimée avant tout autre chose. Prenant mon courage à deux mains, je prends une profonde inspiration avant d’abattre mon poing sur la porte à deux reprises, faisant aussitôt un pas en arrière. La gorge nouée, j’entends des bruits derrière la porte avant que celle-ci ne s’ouvre à la volée sur madame Trask. Ses yeux s’écarquillent d’un seul coup tandis qu’elle place une main sur sa poitrine, clairement choquée de me voir ici. « Ephraïm ? » Je hoche doucement la tête et elle me dévisage un instant avant d’enfouir son visage dans ses mains. Je comprends parfaitement sa réaction, après tout, je passais tellement de temps chez elle qu’elle représente presque une deuxième mère pour moi aujourd’hui. Et elle me croyait mort. Je n’ai pourtant pas de temps à perdre avec cela. « Irrya est là ? » je la presse soudainement, légèrement nerveux. Je ne souhaite pas perdre de temps à me fondre en excuses ou à expliquer ma démarche avant de l’avoir vu elle. La femme fasse à moi laisse alors retomber ses bras, me renvoyant une expression désolée. « Elle est partie pour le district treize à l’annonce de la libération de Panem. » Mes yeux s’écarquillent. Nous avons du nous croiser en route. C’est impossible. Passant une nouvelle fois ma langue sur mes lèvres, j’adresse un dernier signe de tête à mon interlocutrice avant de tourner les talons, abattu.

TRAIN, VINGT-HUIT ANS.
La tête posée contre la vitre, je regarde le paysage défilé à l’extérieur avec la boule au ventre. Une désagréable impression de déjà-vu s’empare de moi tandis que me revient en tête mon premier voyage en train, peu avant le début de la soixante-quatrième édition des Hunger Games. Il n’y a pas une infinité de chemins pour se rendre au capitole de toute façon, aussi je me retrouve certainement sur les mêmes rails que quelques années plus tôt. Je détourne la tête, bien décidé à m’arracher à ce sinistre souvenir qui me plombe le moral bien plus qu’il ne l’est déjà. J’observe un instant les personnes autour de moi, mal à l’aise. Il n’y avait pas tant de personnes dans cette boite de conserve géante, la première fois. Et surtout, il n’y avait pas de bancs permettant le voyage de plusieurs personnes. Je remarque cependant un détail qui finit de me convaincre que je suis bien dans le même wagon qu’autrefois et qu’il a juste changé d’aménagement. En effet, sur le côté, je remarque les noms de mes deux amis ainsi que le mien, toujours gravés sur la paroi. Je ferme les yeux face à cet autre sinistre souvenir. C’est alors que je sens que l’on tire sur ma manche. Ouvrant aussitôt les yeux, je tombe nez à nez avec une petite fille d’une dizaine d’année. « Dis. Dis, t’as fais les Hunger Games ? » Embarrassée, la mère de cette dernière s’apprête à venir la rechercher mais je lui adresse un signe de tête, lui assurant que cela n’est pas grave. « Laissez, il n’y a rien. » je lui signifie avant de me retourner vers la petite fille qui s’est assise à côté de moi, les yeux écarquillés en signe d’admiration. Sa chevelure blonde qui flamboie avec les quelques rayons de soleil parvenant par intermittence à l’intérieur du train. Bizarrement, elle me rappelle quelqu’un. Une personne que j’aimerais retrouver par-dessus tout.