Leur rencontre se fit de manière tout à fait banale, sans éclats. Le capitole venait de tomber entre les mains des rebelles. Il était gravement blessé à la jambe et elle jeune médecin fraîchement débarquée du treize en renfort. Elle le prit en charge à son arrivée à l’hôpital et se démena comme un beau diable pour le maintenir en vie et lui sauver la jambe- défi qu'elle réussi à la perfection. Si bien qu'au bout d'une semaine à l'hôpital déjà, le jeune homme commençait à la draguer ouvertement et à s'amuser à la faire sortir de ses gonds le plus souvent possible- ce qui n'était pas difficile étant donné que son comportement exaspérait Irrya au plus haut point. Elle ne supportait pas ce genre d'homme suffisant et imbu de sa personne. Et pourtant, elle ne pouvait se résoudre non plus à abandonner ce patient pour qui elle s'était donné tant de mal le premier jour. Aussi, elle prenait son mal en patience et venait chaque jour s'assurer de la bonne convalescence d'Isaë durant de longs mois. Et plus le temps passait, plus une routine s'installait entre les deux. Il s'amusait à l'exaspérer au plus haut point et elle l'envoyait bouler dés qu'elle le pouvait. Pareils à deux gosses se chamaillant sans cesse. Jusqu'à un soir, trois mois après l'arrivé d'Isaë à l’hôpital. Ce soir-là, un tout petit rien bougea entre-eux. Un infime mouvement qui allait finir par tout changer.

Allongée sur un banc du parc voisin de l’hôpital depuis des heures, je contemplais les étoiles. Le vent était frai et mordait mes épaules dénudées ainsi que mes joues trempées de larmes- mais peu m'importait. Tout ce qui comptait, c'était que ce moment de doute et de panique passe, et vite. Comme à chaque fois que je croisais quelqu'un me rappelant Ephraïm d'une quelconque manière, j'avais l'impression que le sol se dérobait sous mes pieds. Que des ténèbres m'engloutissaient de toutes part. Or, dans ces moments là, je tentais toujours de me convaincre que si je fermais les yeux assez fort et le souhaitais assez longtemps, la réalité serait autre. Meilleure. Qu'il me reviendrait, m'assurerait que ce n'était qu'un mauvais rêve, qu'il n'était pas mort. Seulement, j'avais beau fermer les yeux très fort et le souhaiter un nombre incalculable de fois, la réalité restait toujours la même. Sinistre et terne. « Qu'est ce qui ne va pas ma jolie? » Surprise, je rouvris les yeux précipitamment pour faire face à la dernière personne au monde que j'avais envie de voir à ce moment précis. Isaë Odair. « Et toi, qu'est ce que tu fous ici Isaë? Tu devrais pas être dans ton lit d’hôpital? » Me mordillant nerveusement les lèvres, je regrettai presque immédiatement mes paroles. Mal dans ma peau, j'avais été agressive, méchante et bête. Même Isaë ne méritait pas ça. Or, malgré ma bêtise, il prit le partit d'en rire. « Aoutch, c'est qu'elle est mordante aujourd'hui. » Me lançant ensuite un clin d’œil à ces quelques mots, il se posa juste au pied du banc. « Tu sais, c'est normal d'avoir peur et d'être en colère, révoltée. Tu en as parfaitement le droit, même si j'ignore ce qui te met dans cet état. Ne refoule pas tes émotions, c'est mauvais. » Surprise pour la deuxième fois de la soirée, je me retournai doucement pour observer mon interlocuteur. Il avait le regard adoucit et un sourire désabusé sur les lèvres. Dieu c'était fou ce qu'il semblait changé, ainsi, sans son éternel masque d'imbécile. Et, à cette réflexion, mon cœur se mit à battre un peu plus vite que d'ordinaire.
Depuis ce soir-là, plus rien ne fut jamais pareil entre-eux. Oh, ils continuaient à se chamailler, bien-sûr. Mais, à présent, autre chose les liait. Quelque chose de plus grand, de plus fort. Un lien qu'ils savaient indestructible. Et malgré toutes leurs différences, malgré toutes leurs disputes et prises de bec, une belle amitié naquit peu à peu. Amitié qui tint bon, même après le retour d'Isaë dans le district quatre. Isaë qui faisait d'ailleurs souvent l'aller-retour entre son district et le capitole rien que pour voir son amie, Irrya. Lui parler, la taquiner, la faire rire et sortir de ses gonds... Autant de choses qui embellissaient la vie du jeune homme. Tout autant qu'elles embellissaient le quotidien de la jeune doctoresse. Si bien qu'aujourd'hui aucun des deux ne se voit continuer sa vie sans l'autre dedans... Mais voilà qu'Isaë était venu tout compliqué lors de sa dernière visite au capitole. Il avait, en effet, embrassé la jeune femme avant de s'en retourner chez lui, dans le quatre. Sans une explication ni un regard en arrière. Et si quelque part Irrya se doutait que ça ne pouvait que finir de cette façon, elle avait espéré autre chose. Quelque chose de plus, peut-être. Mais il fallait être réaliste: il devait s'occuper d'Annie dans le quatre et elle n'était toujours pas prête à laisser partir le fantôme de son fiancé, mort trois années plus tôt.