Le pendule continue son sadique manège, entaillant mon ouïe de son « tic-tac » mieux réglé qu’un métronome. Je le fixe, craintif, alors que l’aiguille approche de sa destination terrible. 3, 2, 1, ça y est, c’est l’heure, l’heure de vérité. J’entends Annie hurler, hurler de douleur, mais je ne la voie pas, tous ce qui m’apparait, c’est un oiseau. Un geai bavard, me dit ma conscience. Je la crois, c’est la seule chose qui peut m’éviter de succomber à ces cris. Je plisse les paupières et colle mes paumes à mes oreilles, serrant les dents, quand les hurlements s’arrêtent. J’appréhende ce que je suis sur le point de découvrir, mais rouvre les yeux, et le regrette immédiatement. En face de moi se tient Finnick. Le vrai, l’original. Il est très beau, et très fort, mais pose un regard tout aussi méprisant qu’intimidant sur moi. Il ne parle pas, mais je sens sa voix me punir. Elle me punit de jouer son rôle à lui, d’usurper son identité, de lui avoir volé sa vie, sa famille, son histoire. Chacune de ses réprimandes m’est comme une lame insérée dans le corps, mais je ne me défends pas. Je sais que tout ce qu’il dit est vrai, et attend mon vrai châtiment, les yeux rivés sur le sol. Annie apparait alors, armée d’un trident. Elle ne m’adresse pas un regard, enlace Finnick, puis lui tend l’arme. Ni une ni deux, alors qu’elle pose sa tête sur son torse, mon original m’enfonce les trois piques dans le ventre d’un geste expert, prompt et net.

C’est le rêve qui vient à nouveau hanter mon sommeil en cette froide nuit de décembre. Couvert de sueur malgré la température ambiante plutôt basse, je me réveille en sursaut, haletant, les muscles vidé de tout soupçon d’énergie. Je m’effondre en réalisant que ce n’était qu’un cauchemar, rien de plus qu’une illusion malsaine, fruit de mon imagination… ou de ma culpabilité. Ma conscience se raille de ma faiblesse d’esprit, et je lui réponds d’un majestueux signe d’un majeur virtuel. Pourriture, à part me torturer, à quoi elle sert celle-là ? Elle glousse à nouveau, mais je l’ignore, et me tourne vers ma femme. Annie. Elle dort encore, d’un sommeil presque paisible. En effet, après un passage dans l’arène des Hunger Games, il est difficile d’un jour espérer retrouver ne serais-ce qu’une lueur de sérénité en dormant. Seule ma présence la rassure, et elle me fait le même effet. A ceci près qu’à chaque fois que je pose les yeux sur elle, un combat opposant deux légions s’engage en mon fort intérieur. D’un côté, l’amour, vêtue d’armures et de toges blanches, les soldats lui obéissant sont les plus fort, alors que de l’autre, la culpabilité et la peur se sont alliées, sous leur bannière d’un rouge sombre, que l’on devine facilement maléfique, défile une armée gigantesque, en large surnombre. Les paris sont ouverts, mais aucun des deux partis ne renverse jamais l’autre, ils sont comme le Nord et le Sud, condamnés à exister ou mourir ensemble. L’un ne survit pas sans l’autre, car c’est d’Annie que l’on parle là, celle pour qui ces deux fronts se livrent depuis trop longtemps une guerre sans merci. Ce soir, alors que je tente de me calmer en admirant les traits de mon épouse, c’est la terrible alliance de la peur et de la culpabilité qui semble dominer la bataille, comme toujours presque. J’ai peur qu’elle découvre le poteau rose, que je ne suis pas son Finnick, et qu’elle ne veuille plus jamais me voir. Je culpabilise de lui mentir, de lui dire que je suis celui à qui elle a dit ce « oui » dont je me rappelle si bien, mais qui ne m’étais pourtant pas adresser. Ma conscience revient à la charge en déclarant que je suis pathétique, elle a clairement pris le parti des remords, et je ne sais quoi lui répondre. La peur m’empêche de guérir ma culpabilité, et pourtant, ce n’est pas faute d’essayer. À ce moment même, je lutte contre cette dernière, écrasant sans vergogne les impétueux fantassins qu’elle m’envoie par vague, mais rien n’y fait, c’est un combat sans fin.

Je photographie une dernière fois du regard le visage d’Annie, et ferme les yeux, prêt à me rendormir. Ce n’est pas ce soir que je lui dirais la vérité, ce n’est pas non plus ce soir que mes tourments nocturnes cesseront. À peine suis-je en train de basculer dans mon monde onirique, qu’un « tic-tac » se met lentement à retentir…